Utopies en contexte. Questions sur le statut du pédagogue sous le Directoire
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« 1/ Vous laissez au milieu de votre société une distinction de maître et de valet ignominieuse pour l’espère humaine et peu faite pour une communauté de philosophes. Vous voulez, dites-vous, vous débarrasser des viles sollicitudes des domestiques, mais ces sollicitudes sont une suite de nos besoins, et comme il faut les prendre ou les donner, il nous semble que, pour que personne n’ait à s’en plaindre, il faut les partager également. Ce n’est que dans les temps de relâchement que les moines paresseux ont chargé les frères du soin de les servir […]. Voilà un exemple entre plusieurs autres qui vous fera voir que vous ne vous rapprochez pas de l’égalité naturelle. […] 3/ L’autorisation du gouvernement peut seule donner de la consistance à une société dont les mœurs et les usages s’écarteraient presque en tout des mœurs et usages reçus. D’ailleurs, la population dans votre société serait bientôt dans un état de contrainte et ne serait-il pas triste d’être obligé, comme les Auvergnats, de chasser les surnuméraires. 4/ Étant célibataires, nous serions déplacés dans votre société au milieu d’une société d’époux. Nous nous dites à cela, prenez femmes, l’un de nous vous répond que jusqu’à présent il se sent de l’éloignement pour le mariage, l’autre qui s’y résoudrait avec plus de facilités vous dit en confidence qu’il n’a point encore vu de femme dont il voulut être le mari […] Nous croyons que les Konacres, les Auvergnats et les Moraves ne valent guère mieux que les bourgeois de nos villages. Les circonstances les ont rendus un peu plus vertueux et par là un peu plus heureux mais le véritable esprit d’égalité ne se trouve pas chez eux. […] La plupart de ces tableaux qu’on trouve dans les livres sont dus en grande partie à l’imagination des écrivains. Les siècles passés ne nous offrent aucun exemple de peuple vraiment philosophe et le nôtre n’est peut-être pas encore assez mûr pour le produire25. »
🔤“1/ You leave in the midst of your society a distinction between master and servant that is ignominious for the human species and ill-suited to a community of philosophers. You want, you say, to get rid of the vile solicitudes of servants, but these solicitudes are a consequence of our needs, and since we must take them or give them, it seems to us that, so that no one has to complain about them, we must share them equally. It is only in times of relaxation that lazy monks have charged the brothers with the task of serving them […]. This is one example among many others that will show you that you are not approaching natural equality. […] 3/ The authorization of the government alone can give substance to a society whose morals and customs deviate almost in every way from accepted morals and customs. Besides, the population in your society would soon be in a state of constraint and wouldn’t it be sad to be obliged, like the Auvergnats, to drive out the surplus. 4/ Being single, we would be out of place in your society in the middle of a society of husbands. We say to ourselves, take wives, one of us answers you that until now he feels distant from marriage, the other who would resolve to it with more ease tells you in confidence that he has not yet seen a woman whose husband he wanted […] We believe that the Konacres, the Auvergnats and the Moravians are not much better than the bourgeois of our villages. Circumstances have made them a little more virtuous and therefore a little happier but the true spirit of equality is not found among them. […] Most of these pictures that we find in books are due in large part to the imagination of writers. Past centuries offer us no examples of a truly philosophical people, and ours is perhaps not yet mature enough to produce one. 25🔤